Le travail spéculatif

La muséologie en mouvement

Le domaine de la muséologie est un milieu en pleine ébullition. Des concepteurs de tous les milieux (scénographie, design, architecture, etc.) s’y retrouvent pour créer des expositions innovantes. Conséquemment, les pratiques ne sont pas normalisées, puisque chacun arrive avec son propre bagage professionnel.

Par cette lettre, nous souhaitons sensibiliser la communauté muséale sur un enjeu qui dilue la qualité du travail en muséologie. Nous parlerons ici du processus d’attribution des mandats en design d’exposition, nous vous exposerons notre vision de la situation et, enfin, nous proposerons quelques pistes de solutions.

Le travail spéculatif et le design d’exposition

Le travail spéculatif se présente sous la forme d’un appel d’offres non rémunéré. Il exige de la part des firmes en design de fournir un travail stratégique et créatif gratuitement dans le but de permettre aux organisations de choisir la firme qui répondra le mieux à leurs attentes.

Exemple de travail stratégique et créatif demandé :
- Approche muséographique , concept
- Images de référence
- Calendrier et budget
- Esquisses et/ou modélisations

Bien que les préoccupations des organisations soient légitimes, il est important de souligner que ce processus n’est pas garant d’un projet d’exposition réussi. Il y a ici trop d’enjeux pour qu’il soit possible d’évaluer le projet uniquement à partir d’une offre de service élaborée en quelques jours. 

Cette façon de faire procurera au client des solutions sommaires, génériques et consensuelles. La firme soumissionnaire évitera les réflexions approfondies, et sera même tentée de recycler de vieux concepts ou encore de proposer des idées qui sont étrangères aux réalités budgétaires de l’organisation. Également, le musée ne saura évaluer les relations interpersonnelles essentielles à la cohésion du projet.

Malheureusement, plusieurs organisations perpétuent ce modèle, pour diverses raisons. Elles sont à la recherche d’une ébauche d’expertise et de créativité gratuite. Pourtant, c’est précisément la mission première des firmes que de vendre ces services pour assurer leur pérennité.

De toute évidence, l’investissement que demande une offre de service est minimisé. Lors d’un appel d’offres, chacune des firmes participantes doit fournir un effort estimé à entre 40 et 60 heures de travail, sans compter les frais afférents (déplacements, rencontres d’équipes, services professionnels, etc.). Il va sans dire que l’économie de la culture en sort perdante, car ces méthodes fragilisent son écosystème de fournisseurs : muséologues, designers, graphistes, éclairagistes, rédacteurs, etc. Seules les très grandes firmes ont les moyens et les ressources nécessaires pour affecter à temps plein une équipe à ces pitchs. Les plus petites équipes, pourtant composées de créateurs dévoués et de talent, se verront d’office disqualifiées. Triste constat quand on pense que le renouveau est la recette pour qu’une industrie se développe!

Bref, un appel d’offres non rémunéré semble alors la moins bonne option.

Comment trouver un match parfait?

Tout d’abord, l’organisation doit faire un premier travail d’introspection pour déterminer le type de projet qu’elle souhaite mettre en œuvre. Ensuite, elle doit délimiter le type de firme qui y répondrait le mieux. Chaque firme a sa signature propre : il est possible que toutes ne répondent pas aux objectifs du projet en cours, d’où la pertinence d’en rencontrer et d’en valider les affinités en relation avec le projet et avec l’équipe du musée, nécessairement.

La quête du match parfait se fait grâce à une recherche sur le web ou à des recommandations venant de professionnels du milieu culturel, sans oublier la Société des musées du Québec, qui s’avère une ressource précieuse.

Ensuite, quelques options s’offrent à l’organisation :

1. Recherche collaborative

  • Recherche préliminaire effectuée par l’organisation
  • Sélection de firmes selon leur portefolio et leurs références
  • Entrevues personnalisées avec les firmes et visite du site

2. Concours rémunéré

  • 1re étape : appel de candidatures et présentation du portefolio (aucune rémunération)
  • 2e étape : sélection d’un groupe de finalistes à qui l’on accorde une somme forfaitaire à la hauteur du travail demandé pour présenter une stratégie et un design.

Et que doit-on faire maintenant?

Il faut se passer le mot et sensibiliser le milieu aux enjeux du travail spéculatif. Il est important de valoriser la valeur intrinsèque du travail de design. Il faut faire reconnaître les années d’études et de travail derrière chaque coup de crayon.

Nous souhaitons que cette lettre entame une discussion constructive et respectueuse au sein des acteurs culturels au Québec. Nous l’adressons particulièrement au monde de la muséologie, mais aussi à tous les autres domaines artistiques et culturels qui souffrent tout autant de cette pratique malsaine.

Pour terminer, nous vous proposons ici, une vidéo sympathique qui a été réalisée par la firme Zulu Alpha Kilo sur le travail spéculatif.

https://youtu.be/essNmNOrQto

Et ensuite quelques liens faisant référence au travail spéculatif dans différents domaines créatifs.

Infopresse
https://www.infopresse.com/article/2019/1/16/a2c-appel-d-offres-pitch-annonceurs-consultation
 
Association des agences de création créative 
https://a2c.quebec/comment-choisir-une-agence/attention-au-travail-speculatif

Signé par:

Laurent Michel Tremblay
LM Tremblay scénographe

Pierre Fauteux
Umanium, Muséologie + Design